Après avoir passé le secteur D de la bibliothèque, Theodore Phoenix était entré dans la réserve secrète. La sphère récemment rapportée de Gralbard avait disparu. Les rideaux blindés étaient ouverts à l’étage. Il monta alors à la mezzanine de cette grande salle. Là, il eut la confirmation qu’il s’était bel et bien passé quelque chose. Du sang sur le sol, un imposant impact de balle dans le mur. Puis il ramassa un sabre et son fourreau, reconnaissant l’arme d’Alexius, celle dont il ne se séparait pour ainsi dire jamais. Peut-être avait-il pris le voleur la main dans le sac. Et cet impact de balle, il connaissait bien un fusil assez puissant pour être capable de le faire, c’était celui de mademoiselle Spencer. Elle avait certainement dû être là elle aussi. La sphère qui avait été dérobée était de première importance pour la prochaine bataille de Valendrie. La savoir entre les mains de l’ennemi ne le rassurait pas, même s’il avait été contre l’utilisation de cet objet par sa propre armée.
Alexius ouvrit les yeux. La première chose qu’il vit fut le plafond de sa chambre, il le reconnaissait à une fissure de la peinture qu’il serait capable de reconnaître entre mille. A sa droite, une machine émettait un son étrange. Dans son bras était plantée une aiguille reliée à la machine par un tuyau transparent dans lequel transitait du sang, tuyau lui-même relié à un autre bras, celui de Kathleen assise sur une chaise auprès de lui. Lorsqu’elle réalisa qu’il était enfin réveillé, elle tourna la tête vers lui et lui adressa un grand sourire soulagé.
« Tu as repris des couleurs, tu sembles avoir meilleur mine maintenant.
-Pourquoi suis-je dans ma chambre ? demanda-t-il en se redressant douloureusement contre le dossier du lit. Et cette machine… ?
-Tu avais besoin de sang, tes constantes étaient faibles, expliqua-t-elle. Oh ne t’en fais pas, je suis de groupe O négatif, donneur universel. »
Alexius baissa les yeux vers sa chemise propre. En palpant le tissu à l’endroit où Percy l’avait poignardé, il sentait la présence d’un pansement. Kathleen s’était alors occupée de lui malgré ses protestations. Toutefois, s’il avait eu besoin de sang, c’est que son état avait certainement été plus préoccupant qu’il ne l’avait pensé de prime abord. Et si elle l’avait déshabillé… Elle avait donc vu, vu le stigmate du passé qu’il traînait derrière lui depuis très longtemps.
« Je ne dirai rien, anticipa-t-elle. Secret médical. Eh oui, moi aussi, je sais ce qu’est un secret. Étonné ?
-J’ai la mauvaise impression que tu me nargues, répondit-il maussade.
-Peut-être un peu. »
Il posa les yeux vers l’aiguille insérée dans son bras. Dans le tuyau à laquelle elle était fixée s’écoulait le sang de Kathleen. Il était chaud. Il trouvait la sensation assez étrange. C’était la première fois qu’il recevait le sang de quelqu’un.
« Est-ce que… c’est de la magie ? demanda-t-elle avec hésitation en parlant bien évidemment de la mystérieuse lueur sur le torse d’Alexius.
-C’est de la science, qui ne s’utilise plus aujourd’hui. Du moins je l’espère.
-Cela a un lien avec ce qu’a volé Percy, n’est-ce pas ?
-Entre autres choses, hasarda-t-il sans souhaiter s’étendre sur le sujet.
-Percy… Ce traître. »
Leur conversation fut interrompue par l’entrée du président Phœnix dans la chambre, suivi de Jasper et Delilah qui apparaissaient inquiets pour leur camarade. Se ruant au pied du lit, la petite demoiselle s’enquit alors de son état, ce à quoi il répondit qu’il allait bien. Réponse classique venant de lui. Jasper remarqua quant à lui l’usage qu’avait fait Kathleen de la machine qu’il lui avait rapporté. A l’adresse d’Alexius, Theodore Phœnix brandit le sabre dans son fourreau pour signifier qu’il le lui avait rapporté puis le posa sur le bureau de la chambre.
« Ces jeunes gens m’ont dit que c’était monsieur Jones qui nous avait trahi, déclara-t-il pendant que Kathleen stoppait la machine qui sonnait la fin de la transfusion. Il a emporté la sphère avec lui. Que pouvons-nous faire, Alexius ?
-Rien. Il peut se la garder, Valendrie en aurait fait mauvais usage de toute façon. Et l’Empire n’en aura pas grande utilité, nous n’utilisons pas tout à fait la même technologie que la leur et celle de cet objet. Savez-vous pourquoi la mesure anti-missile ne s’est pas enclenchée ?
-Elle a été désactivée, indiqua Jasper. Certainement par Percy. Il était officier, il y avait accès. D’après moi, la mission principale des missiles était de faire diversion pour qu’il dérobe ce… truc ?
-Percy… qui nous a trahis, pleurnichait Delilah. J’ai du mal à y croire… »
Kathleen, après avoir retiré l’aiguille du bras d’Alexius et y avoir posé un pansement comme sur le sien pour empêcher la piqûre de saigner, se leva de sa chaise et prit Delilah dans ses bras pour la consoler. Celle-ci se mit à pleurer à chaudes larmes. Les autres aussi étaient frustrés par la situation mais elle était la seule à l’exprimer ouvertement. Le regard d’Alexius croisa celui de Kathleen, puis celui de Jasper qui en fut surpris mais comprit néanmoins la signification. Percy paierait pour sa trahison, ce que confirma Kathleen de vive voix dans une façon bien à elle.
« La prochaine fois que notre route croise celle de Percy, je lui colle une balle entre les deux yeux. Bon sang, j’aurais dû le faire la dernière fois, lorsque j’en avais l’occasion. Dîtes, Président, vous êtes venu ici pour quelque chose, n’est-ce pas ?
-En effet, affirma-t-il en attirant ainsi l’attention de Delilah qui restait tout de même agrippée à sa toute nouvelle grande sœur de cœur. Cela peut paraître beaucoup trop tôt mais je souhaiterais vous envoyer en mission.
-Déjà ? s’étonna Jasper. Mais Alexius est blessé, même ma blessure n’est pas tout à fait guérie.
-Je vais bien, répéta Alexius. Quelle est la mission ?
-Je savais que tu n’hésiterais pas, lui sourit le président. Heureusement que mademoiselle Spencer sera là pour surveiller ton état de santé.
-La mission, Président.
-Ah oui, c’est vrai. »
Il sortit de la poche de sa veste une photographie qu’il tendit à Alexius. Le visage de ce dernier se décomposa devant ses yeux, ce qui confirmait ce qu’il avait découvert. Les autres membres de l’équipe se hâtèrent alors de se réunir autour du lit pour apercevoir également le visage imprimé sur le papier glacé.
« Je te présente la fameuse déesse dont t’a parlé cet homme pendant votre dernière mission. J’ai demandé à quelques hommes de mener leur enquête. Une de tes vieilles connaissances, je présume.
-Elysia Karkov, nomma-t-il. Percy m’en a parlé lui aussi. Je ne compte pas en faire une prisonnière, Président. Je dois la tuer.
-Je sais. »
Kathleen les observa alternativement tous les deux. Apparemment, le président en savait long sur Alexius, elle imaginait qu’ils pouvaient se connaître depuis des années. Puis elle baissa à nouveau les yeux sur la photographie. Elle représentait une femme aux longs cheveux de jais, les yeux verts, le visage séduisant. Alexius avait déclaré qu’il devait la tuer, il évoquait donc un devoir. Et la grande question du jour était : Pourquoi ? Un mot fréquent lorsqu’il s’agissait de lui.