Océanicore
Le cœur de l’océan
Prologue
L’océan est un gouffre. Un gouffre profond, sanguinaire, dangereux et violent. Limpide à la surface, mais plongé dans l’obscurité quelques mètres plus bas. Rares sont les marins qui reviennent sains et saufs de cette épopée. Ceux qui, malheureusement, y laissent la vie, se sont probablement fait emportés par les vagues ; certains se sont sans doute noyés ou ont tout simplement croisés le divin regard des sirènes...
Chapitre 1
L’heure de ma première chasse approchait. La soif d’expérience me démangeait. Les battements inquiets de mon cœur dissimulaient la joie que l’on pouvait distinguer sur mon visage. Le désir de traquer les marins imprudents m’envahissait.
Il ne me fallait qu’un seul geste de la part de la meneuse, et je sautais sur le premier homme qui se trouvait à ma portée.
En cette année de 1863, les temps étaient durs. La guerre de Sécession avait frappée l’Amérique, et la famine dominait le pays. Les marins qui s’aventuraient sur l’océan étaient en quête de nourriture pour apaiser la faim des habitants.
Le moment était bien choisi pour chasser. L’océan regorgeait d’hommes vulnérables et prêts à tout pour en finir avec la misère.
La lune luisait dans le ciel obscur et laissait paraître des reflets translucides dans cette eau couleur de vin. Me tournant vers notre meneuse, j’affichais un regard septique.
Malgré mes traits intrigués elle restait neutre.
- Maria, quand saurons-nous à quel moment attaquer, dis-je les nerfs à vif, ne faudrait-il pas que nous les prenions par surprise ?
Elle resta tout de même passive. Une de mes partenaires la fit réagir et se racla la gorge vigoureusement. Maria déposa ses yeux sur moi mais ne fit paraître aucun signe d’inquiétude. Elle paraissait sereine et calme ; le genre de réaction qui ne me semblait nullement appropriée en cet instant solennel.
- Ne t’en fait pas. Tout ira pour le mieux, crois moi. Ne sens-tu pas tes instincts de traqueuse bouillir en toi ?
J’approuvais d’un signe de tête et fit volte-face. Inconsciemment, je me mis à faire des ondulations nerveuses avec ma queue, puisant l’air au plus profond de mes poumons.
Soudain, Maria nous fit signe de nous mettre en position d’attaque. Je ne me fis pas prier deux fois. Brusquement, la rage me submergea. L’envie meurtrière prit le dessus. Une des membres de notre groupe, Lydia, tapota l’épaule de Maria en signe d’impatience. L’interpellée nous contempla une à une et finit par déclarer :
- Surtout, surtout ne laissez aucune trace des ces marins prétentieux !
Elle dit ces mots et d’un hochement de tête, nous libéra de notre impatience. Comme il avait été convenu, je me dirigeais avec discrétion vers les barques en bois de chêne blanc.
Non loin de moi, se trouvait justement un navire de pêcheurs. Les hommes qui s’y trouvaient étaient tous somnolents, une bouteille de whisky à la main. L’odeur de l’alcool flottait dans l’air. Leur odeur prouvait leur manque d’hygiène corporelle.
Je m’appuyais sur le bord de l’embarcation et commençait à chanter de ma voix angélique et cristalline. L’un d’eux se réveilla ivre-mort. Il m’observa avec crainte et fascination.
- Dan, Oliver, Damon ! Réveillez-vous ! Aller, secouez-vous bordel !
Ses hommes se réveillèrent de la même manière que le premier marin l’avait fait une minute plus tôt. Tous me regardèrent surpris, et tous s’extasièrent devant ma beauté marmoréenne. L’un d’eux s’approcha timidement. Tous avaient le souffle court. L’homme qui se trouvait le plus prêt de moi s’avança encore de quelques centimètres – assez pour que je puisse m’en emparer et l’emporter au plus profond de l’océan.
Je tendis mes bras vers son visage ; il avança son faciès de mes paumes et me sourit. Lui accordant un sourire à mon tour, je commençais à caresser se joues flétries par le vent. Les yeux mi-clos, il songeait déjà à un avenir à mes côtés ; malheureusement pour lui, il n’en serait rien...
Ses compagnons se précipitèrent sur le bord de l’embarcation. Celui que j’avais aperçu en premier me contempla de la même manière que l’on contemple une déesse.
- Comment t’appelles-tu ? dit-il avec fascination.
Il posa sa question et, voyant que je ne répondais pas, les autres insistèrent d’un signe de tête enjoué. Celui dont la figure était enfouie dans mes mains, m’esquissa un grand sourire.
- Mon nom est Esthia, dis-je d’une voix ailée, seriez-vous mes beaux marins ? enchainais-je.
- Nous l’espérons, pria un des marins, tu es magnifique !
- Et ton nom est divin, poursuivit mon prisonnier.
Ils étaient à moitié évanouis quand les autres sirènes vinrent à leur tour. Les yeux cernés des marins s’écarquillèrent net. Mes coéquipières s’appuyèrent sur le rebord du navire et – à leurs tours – usèrent de leur charme naturel pour séduire ses hommes à la sensibilité légère. Chacune de nous les gratifia d’un sourire enchanteur et commença à s’emparer d’un marin. Mon prisonnier afficha une expression idyllique. Resserrant mes mains contre sa figure, je commençais à l’entraîner sous l’eau. Son buste était déjà immergé quand il commença à suffoquer. Il se mit à s’agiter et à paniquer, ses compagnons en firent autant.
Mes canines s’agrandirent et devinrent aiguisées et tranchantes comme des lames de rasoir. Ma proie blêmie. A présent, tout son corps se trouvait dans l’eau. Saisissant fermement ses bras, je l’emportais dans les profondeurs de l’océan.
J’enfonçais mes dents dans son épaule, comme un chien dévorant sa viande. Arrachant ses vêtements, je m’acharnais sur son faible corps. L’individu se défendait autant que ses moyens de simple humain lui permettaient. Je griffais son torse fripé tout en lui mordant le visage. Je m’emparais de ses côtes et lui brisaient net. Il lâcha un cri de douleur étouffé par la pression de l’eau. Il ouvrit sa bouche cherchant désespérément de l’air. Le liquide salin envahit ses poumons et les brûla.
Le peu de sang qu’il lui restait dans son corps se vida. Je lâchais ma victime. Son cadavre coula. Je remontais à la surface pour en saisir un autre. Les sirènes avaient un carnage des marins qui se trouvaient sur la barque. J’aperçus une autre embarcation non loin du lieu de nos crimes. Je m’approchais du bateau avec assurance tout en faisant signe à mes camardes de me rejoindre. Nous arrivâmes devant le navire. Sans prendre le temps de nous présenter comme nous l’avions fait avec les individus précédents, nous nous jetâmes sur ces pauvres marins, sans aucune pitié. C’est ainsi que la boucherie reprit son cours. Saisissant un des figurants, je lui réservais la même torture qu’a ma première victime...
Chapitre 2
J’ouvris les yeux, me rappelant les cris et la douleur de chaque marin dont j’avais ôté la vie. Mes mains ainsi que mes avant-bras étaient recouverts de sang. Mes lèvres étaient elles aussi recouvertes de cette substance. Je me réjouissais de cette nuit criminelle, pourtant, quelque chose en moi ressentais de la culpabilité. Comme si les meurtres que j’avais commis avaient été l’œuvre de mon alter-égo. Je ne savais plus vraiment où j’en étais. J’avais de la peine pour tous ces hommes morts, seulement je me souvenais en avoir tiré du plaisir. Le plaisir de tuer avait été pour moi une sensation exceptionnelle.
Je plongeais mes mains dans l’eau pour nettoyer le sang qui couvrait mes bras et mon visage. Le sang se dilua dans l’eau claire. Celui-ci gâcha d’ailleurs sa pureté. Je mis ma tête sous l’eau et partit dans les fonds marins pour me changer les idées.