AVE MARIA
PROLOGUE
3 Juillet 1191, Saint Jean d'Acre, Syrie
Le sol syrien trembla sous les sabots impétueux des chevaux arabes. Il y était habitué, depuis ce fameux jour de 1189. Les assauts répétés des armées chrétiennes l'avait marqué à jamais. Mais cette fois-ci, tout était différent. Ils devaient attaquer, et vite.
Le peuple musulman ne tenait plus, à court de ressources. Les croisés ne semblaient ni souffrir de la faim, de la soif, et du soleil ardent. Des démons, songea Salâh ad-Dîn*, ses mains gantées agrippées aux lanières de cuir qui menaient son cheval. Entre les oreilles fragiles et incurvées de celui-ci, le sultan espérait voir son morceau de terre apparaître, qu'il puisse le défendre comme il le devait.
Tout avait commencé avec la libération de Guy de Lusignan. Quel idiot avait-il été de le libérer ! Et pourquoi ne s'en était-il par alarmé plus tôt ! La taille de l'armée du croisé avait été tellement ridicule, qu'il n'avait pas pris la peine de se déplacer, pensant avoir à faire à une ruse visant à cesser le siège de la forteresse de Beaufort. Puis, au fur et à mesure, les germaniques, les anglais et les français l'avaient rejoint. Par sa faute, sa ville, ses habitants étaient complètement coupés de l'extérieur. Les chrétiens étaient aussi présents sur le port, coupant court à toute stratégie du Sarrasin. Cette offensive était vouée à l'échec, il le savait. Mais il ne pouvait regarder sa cité tomber, sans rien faire. Il fallait que son peuple sache qu'il avait tout tenté et que cette initiative était la meilleure qu'il pouvait prendre.
Ses émirs chevauchaient à ses cotés, les yeux plissés, la mâchoire crispée, les muscles tendus par la colère. Par Allah ! Tout était de sa faute s'ils en étaient arrivés là ! Il aurait pu laisser Antioche à ses meilleurs soldats ! Ils auraient été capable de la défendre, pendant qu'il remettait les chrétiens à leur place !
Assez ! gronda une voix dans son esprit. Il serait toujours temps de se flageller plus tard ! Il devait rejoindre Acre au plus vite, et non tergiverser sur le siège de la ville musulmane.
Il n'avait pas eu le temps d'attendre le retour de ses éclaireurs. Ceux-ci s'étaient peut-être déjà fait tuer et il savait très bien ce qu'il l'attendrait. Deux rois : Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion. Un imbécile : Guy de Lusignan. Une armée dont la taille avait triplée. Et de son coté ? Lui. Une poignée d'homme qu'il avait ramené d'Antioche.
Avec rage, il fit claquer ses rênes sur l'encolure de son cheval qui hennit, mécontent. La pauvre bête galopait aussi vite que possible, dévalant les pentes arides et irrégulières. Ce paysage désertique prouvait qu'ils étaient encore à quelques lieux de la cité, la verdure y étant un peu plus abondante.
Soudain, un cavalier apparut entre les oreilles de son étalon enragé. Il tira vivement sur les rênes et sa monture se cabra. L'ordre de s'arrêter fut hurlé par ses généraux.
Le cavalier ayyoubide descendit lourdement de sa selle et le sultan remarqua qu'il était blessé. Il s'approcha de l'armée musulmane en boitillant et tomba maladroitement à genoux. Sa bouche se tordit en un rictus de douleur, mais aucun son n'en sortit. Au bout de quelques secondes où le sultan laissa son soldat se reprendre, celui-ci finit par prononcer d'une voix bourrue :
-
Assalamu aalaykum, Malik.
-
Wa aalaykumu asalaam. **- Ils vous attendent. Tous armés. Comme s'ils savaient que vous arriveriez aujourd'hui. Et...
Le soldat ne put finir sa phrase, secoué par un violent spasme. Son corps convulsa un moment et finit par se raidir, du sang bouillonnant entre ses lèvres asséchées. Salâh ad-Dîn sauta de selle, s'accroupit près de l'éclaireur et, approchant sa bouche de son oreille, il murmura :
-
Ašhadu an lâ ilâha illa-llâh, wa-ašhadu anna muḥammad rasûlu-llâh.***
Il essuya son liquide vital avec son gant et fit sèchement :
- Vous vous assurerez que son corps reste en bon état. Il est hors de question qu'on laisse le soleil le calciner.
Ses émirs acquiescèrent en hochant la tête. Dos à eux, il ne put les voir, mais il savait que ce décès avait ravivé leur rage des chrétiens, et il ne demandait que ça. Alors, peut-être que Acre leur reviendrait.
C'est alors qu'au loin, on entendit un grondement similaire à celui qui retentissait quelques minutes auparavant, quand son armée parcourait la plaine. Un cri le suivait, et plus il s'approchait, mieux les ayyoubides comprenait ce que les croisés scandait : “
Deus Vult !”****
Le sultan remonta à cheval et lorsqu'il leva la main, les Sarrasins leur répondirent, enfonçant leurs talons dans les flancs des purs-sang :
-
Allahu Akbar !*****
***
Dictionnaire Latin / Arabe ♥
*En Français, on écrit "Saladin". J'ai décidé de rester fidèle à l'écriture arabe, bien plus "belle"
** "Que la paix soit avec vous (mon) roi" "Que la paix soit avec toi (aussi)"
*** Il s'agit de la chahâda, profession de foi de l'Islam. Elle se traduit par : « J'atteste qu'il n'y a de divinité digne d'adoration qu'Allah et j'atteste que Mouhammad est le messager d'Allah » (Traduction Wikipédia)
**** Exprime la volonté de Dieu
***** "Dieu est grand"
J'attends avec impatience vos avis ♥