Chapitre 17 - 2° partie

Après avoir passé le secteur D de la bibliothèque, Theodore Phoenix était entré dans la réserve secrète. La sphère récemment rapportée de Gralbard avait disparu. Les rideaux blindés étaient ouverts à l’étage. Il monta alors à la mezzanine de cette grande salle. Là, il eut la confirmation qu’il s’était bel et bien passé quelque chose. Du sang sur le sol, un imposant impact de balle dans le mur. Puis il ramassa un sabre et son fourreau, reconnaissant l’arme d’Alexius, celle dont il ne se séparait pour ainsi dire jamais. Peut-être avait-il pris le voleur la main dans le sac. Et cet impact de balle, il connaissait bien un fusil assez puissant pour être capable de le faire, c’était celui de mademoiselle Spencer. Elle avait certainement dû être là elle aussi. La sphère qui avait été dérobée était de première importance pour la prochaine bataille de Valendrie. La savoir entre les mains de l’ennemi ne le rassurait pas, même s’il avait été contre l’utilisation de cet objet par sa propre armée.

Alexius ouvrit les yeux. La première chose qu’il vit fut le plafond de sa chambre, il le reconnaissait à une fissure de la peinture qu’il serait capable de reconnaître entre mille. A sa droite, une machine émettait un son étrange. Dans son bras était plantée une aiguille reliée à la machine par un tuyau transparent dans lequel transitait du sang, tuyau lui-même relié à un autre bras, celui de Kathleen assise sur une chaise auprès de lui. Lorsqu’elle réalisa qu’il était enfin réveillé, elle tourna la tête vers lui et lui adressa un grand sourire soulagé.

« Tu as repris des couleurs, tu sembles avoir meilleur mine maintenant.

-Pourquoi suis-je dans ma chambre ? demanda-t-il en se redressant douloureusement contre le dossier du lit. Et cette machine… ?

-Tu avais besoin de sang, tes constantes étaient faibles, expliqua-t-elle. Oh ne t’en fais pas, je suis de groupe O négatif, donneur universel. »

Alexius baissa les yeux vers sa chemise propre. En palpant le tissu à l’endroit où Percy l’avait poignardé, il sentait la présence d’un pansement. Kathleen s’était alors occupée de lui malgré ses protestations. Toutefois, s’il avait eu besoin de sang, c’est que son état avait certainement été plus préoccupant qu’il ne l’avait pensé de prime abord. Et si elle l’avait déshabillé… Elle avait donc vu, vu le stigmate du passé qu’il traînait derrière lui depuis très longtemps.

« Je ne dirai rien, anticipa-t-elle. Secret médical. Eh oui, moi aussi, je sais ce qu’est un secret. Étonné ?

-J’ai la mauvaise impression que tu me nargues, répondit-il maussade.

-Peut-être un peu. »

Il posa les yeux vers l’aiguille insérée dans son bras. Dans le tuyau à laquelle elle était fixée s’écoulait le sang de Kathleen. Il était chaud. Il trouvait la sensation assez étrange. C’était la première fois qu’il recevait le sang de quelqu’un.

« Est-ce que… c’est de la magie ? demanda-t-elle avec hésitation en parlant bien évidemment de la mystérieuse lueur sur le torse d’Alexius.

-C’est de la science, qui ne s’utilise plus aujourd’hui. Du moins je l’espère.

-Cela a un lien avec ce qu’a volé Percy, n’est-ce pas ?

-Entre autres choses, hasarda-t-il sans souhaiter s’étendre sur le sujet.

-Percy… Ce traître. »

Leur conversation fut interrompue par l’entrée du président Phœnix dans la chambre, suivi de Jasper et Delilah qui apparaissaient inquiets pour leur camarade. Se ruant au pied du lit, la petite demoiselle s’enquit alors de son état, ce à quoi il répondit qu’il allait bien. Réponse classique venant de lui. Jasper remarqua quant à lui l’usage qu’avait fait Kathleen de la machine qu’il lui avait rapporté. A l’adresse d’Alexius, Theodore Phœnix brandit le sabre dans son fourreau pour signifier qu’il le lui avait rapporté puis le posa sur le bureau de la chambre.

« Ces jeunes gens m’ont dit que c’était monsieur Jones qui nous avait trahi, déclara-t-il pendant que Kathleen stoppait la machine qui sonnait la fin de la transfusion. Il a emporté la sphère avec lui. Que pouvons-nous faire, Alexius ?

-Rien. Il peut se la garder, Valendrie en aurait fait mauvais usage de toute façon. Et l’Empire n’en aura pas grande utilité, nous n’utilisons pas tout à fait la même technologie que la leur et celle de cet objet. Savez-vous pourquoi la mesure anti-missile ne s’est pas enclenchée ?

-Elle a été désactivée, indiqua Jasper. Certainement par Percy. Il était officier, il y avait accès. D’après moi, la mission principale des missiles était de faire diversion pour qu’il dérobe ce… truc ?

-Percy… qui nous a trahis, pleurnichait Delilah. J’ai du mal à y croire… »

Kathleen, après avoir retiré l’aiguille du bras d’Alexius et y avoir posé un pansement comme sur le sien pour empêcher la piqûre de saigner, se leva de sa chaise et prit Delilah dans ses bras pour la consoler. Celle-ci se mit à pleurer à chaudes larmes. Les autres aussi étaient frustrés par la situation mais elle était la seule à l’exprimer ouvertement. Le regard d’Alexius croisa celui de Kathleen, puis celui de Jasper qui en fut surpris mais comprit néanmoins la signification. Percy paierait pour sa trahison, ce que confirma Kathleen de vive voix dans une façon bien à elle.

« La prochaine fois que notre route croise celle de Percy, je lui colle une balle entre les deux yeux. Bon sang, j’aurais dû le faire la dernière fois, lorsque j’en avais l’occasion. Dîtes, Président, vous êtes venu ici pour quelque chose, n’est-ce pas ?

-En effet, affirma-t-il en attirant ainsi l’attention de Delilah qui restait tout de même agrippée à sa toute nouvelle grande sœur de cœur. Cela peut paraître beaucoup trop tôt mais je souhaiterais vous envoyer en mission.

-Déjà ? s’étonna Jasper. Mais Alexius est blessé, même ma blessure n’est pas tout à fait guérie.

-Je vais bien, répéta Alexius. Quelle est la mission ?

-Je savais que tu n’hésiterais pas, lui sourit le président. Heureusement que mademoiselle Spencer sera là pour surveiller ton état de santé.

-La mission, Président.

-Ah oui, c’est vrai. »

Il sortit de la poche de sa veste une photographie qu’il tendit à Alexius. Le visage de ce dernier se décomposa devant ses yeux, ce qui confirmait ce qu’il avait découvert. Les autres membres de l’équipe se hâtèrent alors de se réunir autour du lit pour apercevoir également le visage imprimé sur le papier glacé.

« Je te présente la fameuse déesse dont t’a parlé cet homme pendant votre dernière mission. J’ai demandé à quelques hommes de mener leur enquête. Une de tes vieilles connaissances, je présume.

-Elysia Karkov, nomma-t-il. Percy m’en a parlé lui aussi. Je ne compte pas en faire une prisonnière, Président. Je dois la tuer.

-Je sais. »

Kathleen les observa alternativement tous les deux. Apparemment, le président en savait long sur Alexius, elle imaginait qu’ils pouvaient se connaître depuis des années. Puis elle baissa à nouveau les yeux sur la photographie. Elle représentait une femme aux longs cheveux de jais, les yeux verts, le visage séduisant. Alexius avait déclaré qu’il devait la tuer, il évoquait donc un devoir. Et la grande question du jour était : Pourquoi ? Un mot fréquent lorsqu’il s’agissait de lui.

Chapitre 18 - 1° partie

Alexius attendait en faisant les cents pas dans sa chambre, impatient. Les évènements de la veille ne cessaient de lui revenir en mémoire. Il les tournait et les retournait dans sa tête pour essayer de comprendre, de trouver quelque chose qu’il n’avait pas découvert sur le moment. La sphère qui disparaît, Percy qui trahit Valendrie, les missiles qui attaquent l’académie. Tout avait basculé en l’espace de quelques minutes. Et là, il arpentait les quatre coins de la pièce tel un lion en cage. Le large pansement sur son flanc lui rappelait que Percy l’avait poignardé. Il aurait très bien pu le tuer mais il ne l’avait pas fait. Il avait visé exactement le même endroit que Jasper lorsqu’il avait été touché par cette balle que Kathleen avait extraite, ce ne pouvait pas être qu’une coïncidence. Percy avait certainement voulu le garder en vie un peu plus longtemps mais dans quel but ? Qu’est-ce que cela pourrait lui pouvait lui rapporter ? Et Kathleen aussi… Kathleen, pour le soigner, avait vu cette lumière qu’il n’avait dévoilée à personne, pas même au président de Valendrie. Il avait pour principe de ne faire confiance à personne mais… c’était tout-de-même grâce au sang de la jeune femme s’il pouvait se tenir debout dans sa chambre aussi tôt. Elle n’avait pourtant rien eu à gagner à risquer ainsi sa propre santé pour l’aider. Cette femme, plus il la côtoyait et plus il la trouvait étrange. Elle était… pénible.

Kathleen était en retard. Elle avait promis à Alexius d’être là pour sept heures du matin afin de changer son pansement mais elle avait eu du mal à se lever. La veille, après avoir quitté sa chambre, elle avait aidé les médecins et les autres infirmières de l’école à soigner les nombreux blessés. Mais en ayant donné son sang, elle aurait dû rester au repos et veiller à s’hydrater régulièrement. Au lieu de cela, elle avait fait complètement l’inverse et elle en ressentait indubitablement les effets. Lorsqu’elle toqua enfin à la porte de la chambre de son patient, la voix de celui-ci indiqua depuis l’autre côté que la porte était ouverte. Kathleen pénétra alors dans la chambre pour découvrir Alexius portant seulement un pantalon, les bras croisés sur son torse lumineux et un air bougon sur le visage. Il ne manqua pas de souligner qu’elle était en retard. Kathleen se contenta de sourire, elle n’avait pas vraiment la force de le taquiner ce matin alors que lui, paraissait plutôt énergique pour quelqu’un qui s’était fait poignarder la veille. Elle s’approcha ensuite de lui et, pour toutefois se venger de cet accueil si peu chaleureux, elle tira d’un coup sec sur le pansement. Alexius n’eut qu’une faible réaction, il devait être sacrément résistant à la douleur. Même la veille, alors qu’il venait de se faire poignarder, il n’avait pas bronché alors qu’elle se souvenait que Jasper n’avait eu de cesse de gémir jusqu’à ce qu’il soit anesthésié. Soudainement, la jeune femme se pencha un peu pour contempler l’apparence de la blessure de son patient qui eut un mouvement de recul, peut-être par pudeur puisqu’il n’avait pas pour habitude de dévoiler son corps de la sorte.

« C’est… ça… Ça a déjà cicatrisé, balbutia-t-elle avec stupéfaction. Je n’en reviens pas…

-Vas-tu m’enlever ces points dans ce cas ? demanda-t-il en observant sa blessure lui aussi. Ils me tirent la peau, c’est désagréable. »

Encore sur le coup de la surprise, Kathleen se redressa et hocha simplement la tête avant de poser son sac sur le lit afin de réunir les instruments dont elle aurait besoin. Derrière elle, Alexius la regardait faire. Il savait ses propres capacités de récupération impressionnantes mais pas à ce point. Il trouvait d’ailleurs la jeune femme bien silencieuse.

En fouillant dans son sac, Kathleen invita Alexius à se rapprocher du lit en lui indiquant où se tenir debout. Alors qu’il avait été inconfortable la veille à ce qu’elle voit son corps, il ne semblait plus du tout y être opposé. Il avait même l’air d’avoir accepté ce fait. Même si elle était infirmière, elle restait tout de même une femme. Alexius avait la silhouette d’un corps physiquement entraîné, sa musculature était bien sculptée sans être superflue pour autant et cette lueur qui brillait à travers la peau de son torse attirait d’autant plus son regard. Il aurait néanmoins pu… garder sa chemise sur le dos, n’importe quoi mais quelque chose quand même. Elle se traitait d’idiote à avoir ce genre de pensées puis s’installa ensuite au bord du lit pour retirer ses points, il était à bonne hauteur en restant debout. Sa plaie avait presque entièrement disparu, ne restait plus qu’un mince trait rougi. Une telle capacité de guérison était surnaturelle.

« En garderas-tu la cicatrice ? demanda-t-elle à Alexius en retirant les derniers points.

-Non.

-C’est drôle, tu parles comme si tout était ordinaire. Normalement, je n’aurais pas eu à te retirer les points avant des semaines !

-Tu n’avais même pas besoin de m’en faire en premier lieu.

-C’était justement ce que j’étais en train de me dire. Je suis donc désolée de m’être mêlée inutilement de tes affaires.

-Crois-tu que je n’ai pas perçu le ton sarcastique que tu viens d’employer ?

-Ton imagination te joue des tours, voyons. Et voilà, c’est terminé. »

Chapitre 18 - 2° partie

Dès qu’elle eut prononcé ces mots, Alexius s’était dirigé vers son armoire afin de récupérer des vêtements propres. Sans même recevoir un mot de remerciement, Kathleen se leva du lit et récupéra son matériel. Lorsqu’elle se retourna ensuite vers la porte, le jeune homme se tenait devant elle, surprise. Il lui tendait une étoffe de tissu correctement pliée, il s’agissait du même mouchoir qu’elle lui avait tendu au jour de leur permission. Il en profita pour la remercier des soins qu’elle lui avait apportés, même si cela n’avait pas servi à grand-chose. Elle allait quitter la chambre quand il retint son bras, ajoutant qu’elle avait agi selon son instinct. Cela, personne ne pourrait le lui reprocher, pas même lui. Enfin, il la lâcha et la laissa sortir de la pièce. Après avoir fermé la porte derrière elle, Kathleen resta plantée au beau milieu du couloir. Non seulement il était d’une constitution physique particulière, Alexius lui apparaissait aussi psychologiquement particulier. Il semblait avoir des principes très précis d’après ce qu’elle avait pu constater jusqu’à maintenant mais parfois… parfois, il créait la surprise. Ce qu’il venait de lui dire voulait-il signifier qu’il lui faisait ne serait-ce qu’un tout petit peu confiance ? Tout-à-coup, elle se mit à pouffer de rire et emprunta le couloir en direction de sa propre chambre.

Alexius attendit un instant avant d’aller se détendre sous la douche. La solitude qu’il s’était imposé pendant des années l’avait rendu malhabile dans sa relation avec les gens, au point qu’il n’avait plus voulu fournir le moindre effort. De toute façon, à quoi bon tisser des liens avec autrui si c’était pour finir tout seul ? Il n’avait pas un cœur de pierre, c’était juste qu’il en avait assez de souffrir de cela. Dans son existence, les gens n’étaient que de passage. Mais Alexius sentait qu’il commençait à en avoir assez de faire dans la demi-mesure. Soit il acceptait cette souffrance, soit il décidait de retourner à une vie solitaire et ce de façon définitive. Même s’il ne le voulait pas, les membres de son équipe commençaient à devenir proches de lui, même Kathleen qu’il ne connaissait pas depuis longtemps et qui semblait étrangement le comprendre. Il craignait que son attachement grandissant à leur présence n’altère sa résolution. Etait-il en train de changer sans s’en rendre compte ? Il espérait se tromper, il devait rester vigilant.

Delilah avait la tête posée sur l’une des tables qui restait dans la salle de conférence à laquelle il manquait un morceau du plafond, qui s’était effondré lorsque les missiles avaient touché l’école la veille. Elle attendait. Son sac était posé à l’entrée de la pièce et, selon les consignes du président, elle avait troqué l’uniforme contre des vêtements décontractés. Avec son mini-short bleu clair et son long débardeur blanc, elle avait l’air d’être parée pour les vacances. C’était un peu de cela puisque leur destination serait Belidos, royaume en bord de mer au climat tropical, véritable paradis terrestre. Installé à une autre table de l’autre côté de la salle, Jasper effectuait une dernière vérification dans son sac. Comme ils n’avaient droit qu’à un seul bagage afin de voyager léger, il lui avait été difficile de choisir ce qu’il emporterait. La tenue qu’il avait choisie était aussi légère que celle de Delilah avec un pantacourt de couleur ocre, un marcel blanc et une chemise blanche à manches courtes qu’il portait ouverte.

« Ils en mettent du temps, soupira l’adolescente avec lassitude. Il me tarde d’y aller. Je veux voir la plage de sable fin, bronzer sous le soleil chaud et écouter les cigales chanter ~

-A t’entendre, on dirait que nous partons en vacances, riait Jasper en fermant enfin son sac. Je te rappelle que nous serons en mission. Le tourisme ne sera que le prétexte de notre couverture.

-Mais nous pourrons quand même en profiter un peu. Et rien que pour cela, ça en vaut la peine. Alexius, Kathleen, dépêchez-vous… »

L’impatience de Delilah amusait son camarade. Profiter de leur séjour à Belidos ? Il n’y avait pas vraiment songé mais ce serait peut-être une bonne occasion pour s’aérer l’esprit avant d’aborder les choses sérieuses. Leur objectif final était la capitale impériale, là d’où il venait. Et leur mission serait de trouver cette Elysia Karkov envers qui Alexius semblait éprouver une indubitable animosité. En général, celui-ci traitait ses cibles avec indifférence. Pour cette femme, c’était différent. C’était d’ailleurs la première fois que Jasper avait vu une telle expression sur le visage désinvolte de son équipier. Il était curieux d’en connaître les raisons mais il savait qu’Alexius ne parlerait pas, d’autant plus parce que cela avait l’air de l’atteindre personnellement. Même Kathleen n’avait rien demandé, elle qui voulait toujours tout savoir, mauvaise manie typiquement rosalienne d’ailleurs.

« Je persiste à croire que nous partons beaucoup trop tôt, s’inquiétait-il. Alexius a été poignardé hier, il ne sera pas en état.

-Alexius, il est drôlement costaud, justifia Delilah en décollant enfin sa tête de la surface de la table. Je l’ai déjà vu faire des trucs complètement hallucinants.

Chapitre 19 - entier

Lorsqu’elle arriva enfin dans la salle de conférence à moitié détruite, Kathleen constata que tout le monde n’attendait plus qu’elle, ce fut donc vers elle que tous les regards se tournèrent. Elle posa son sac avec ceux des autres à l’entrée de la pièce et vint prendre place à côté de Delilah qui avait l’air de partir en vacances à en voir sa tenue vestimentaire. La remarque était plus ou moins valable pour Jasper même si c’était avec un peu plus de retenue. Quant à Alexius, en polo bleu marine et en jean foncé avait déjà l’air plus sérieux mais il aurait peut-être un peu trop chaud une fois arrivé à Belidos. Kathleen remarqua qu’il ne faisait même pas semblant d’avoir mal à l’endroit où elle avait retiré les points inutiles un peu plus tôt.

A défaut de pouvoir utiliser un tableau qui n’existait plus en raison d’un mur effondré, Theodore Phœnix posa un planisphère du continent à même le sol au centre de la pièce afin de donner ses instructions au groupe. Il sortit ensuite de sa poche un objet métallique sur lequel il tira et qui s’avéra être une baguette télescopique. Il indiqua en premier Valendrie avec sa baguette, à l’extrême ouest du continent. Delilah dû se pencher au-dessus de la table pour mieux y voir. Le président fit ensuite glisser le bout de sa baguette le long d’une épaisse ligne noire qui représentait la ligne ferroviaire qui était directement liée à Calderón, la capitale de Belidos qui se trouvait en bord d’un océan. Situé au sud-est du continent, le territoire s’avérait un peu trop lointain pour l’atteindre dans la même journée selon les estimations de Jasper. Le président précisa qu’il s’était arrangé pour que le groupe puisse descendre du train avant d’atteindre la frontière de Belidos en raison de possibles contrôles effectués par des soldats impériaux puisque le territoire dans lequel ils seraient à ce moment-là appartenait à l’Empire depuis quelques mois. Delilah demanda alors comment ils entreraient dans Belidos. Theodore Phœnix se contenta d’hasarder qu’ils devraient dormir à la belle étoile et qu’ils continueraient leur route à pied à travers les champs ou feraient de l’autostop. Sarcastique, Alexius commenta que le plan était bien ficelé. Le président ne releva pas la remarque.

Le groupe devrait rester trois ou quatre jours à Belidos afin de donner crédit à leur couverture en tant que touristes. Ils auraient donc le loisir de profiter de leur séjour à Calderón mais devraient toutefois veiller à faire preuve de discrétion. Ensuite, leur prochaine destination serait le royaume de Rosalia. Kathleen serra le poing. Ce serait la première fois qu’elle y retournerait depuis qu’elle avait été exilée. Quel accueil lui réserveraient les gens en pensant qu’elle était une traîtresse ou au mieux une incapable ? Elle ignorait ce qui avait été publiquement raconté à son sujet. Le président attira leur attention sur le fait qu’ils se trouveraient donc en territoire massivement occupé par l’armée impériale et où la répression était des plus fortes parce-que le peuple rosalien ne se résignait pas à devenir le vassal de l’Empire. Il tint également à leur rappeler qu’ils ne seraient que de passage à Rosalia, qu’il leur serait donc déconseillé de se mêler aux affaires de la résistance locale. Ensuite, leur dernière destination serait la capitale impériale, où ils entreraient en contact avec un espion valendrien qui leur donnerait tous les renseignements dont ils auraient besoin.

« J’ai une question, annonça Delilah en levant la main. Maintenant que Percy n’est plus là, qui est notre chef ?

-J’avais effectivement oublié ce détail, réalisa Jasper. Et aucun d’entre nous n’est un officier supérieur.

-Cette mission n’est pas une mission officielle, ce n’est donc pas très grave, conclut le président. Mais si vous tenez à avoir un chef, il suffit de choisir le plus gradé d’entre vous… »

Ils se tournèrent donc tous vers le Major Delilah Stone qui secoua vivement la tête, prétextant qu’elle était bien trop irresponsable pour le poste. Personne ne put la contredire. Le suivant était donc l’Adjudant-Chef Jasper Eisenheim, il ne se sentait pas les épaules assez solides pour cela. En effet, il n’aurait certainement aucune autorité sur le groupe. Il proposa de nommer plutôt Kathleen qui connaissait déjà Belidos et Rosalia. Mais elle refusa, elle n’était que Sergent, donc bien moins gradée qu’eux. Puis elle venait tout juste de s’engager à Valendrie, c’était encore trop tôt. Ne restait donc plus qu’Alexius au grade inconnu puisqu’il n’en avait pas, bien qu’il fasse partie de l’armée valendrienne.

« Pourquoi est-ce toujours à moi que vous demandez ce genre de chose ? articula-t-il agacé. Même avant, ce n’était même pas Percy qui commandait… Je ne veux pas de ce poste.

-Tu connais justement le boulot, souriait Delilah.

-Et tu prends de bonnes décisions, ajouta Jasper.

-Tes camarades aiment te suivre, Alexius, commenta le président Phoenix d’un air malicieux.

-Que sont-ils ? Des moutons ? »

Non, Alexius ne voulait pas d’autre fardeau que le sien. Techniquement, il n’avait aucun grade au sein de cette armée et c’était tant mieux, il avait donc une bonne raison pour refuser l’offre dont il ne voulait absolument pas. Toutefois, Kathleen n’avait rien dit, il trouvait cela curieux. Lorsqu’il tourna les yeux vers elle, il remarqua qu’elle l’observait d’un air songeur. Oh non, elle prenait seulement le temps de réfléchir avant de parler. Ce n’était pas bon signe pour lui. Elle semblait avoir deviné ses pensées car ses lèvres venaient de s’étirer en un sourire espiègle. Elle prit une longue inspiration, histoire de faire durer le suspense pour le narguer, puis déclara ce qu’elle avait à déclarer.

« Dis Alexius, tu as plus d’expérience que nous, n’est-ce pas ?

-Qu’est-ce qui te fait dire ça ? redoutait-il, le regard méfiant.

-Je t’ai vu te battre dans ma clinique. Tu n’es pas un débutant voyons. As-tu déjà fait partie de l’armée de ton pays ? Ou de sa garde civile ?

-Qu’est-ce qu’une garde civile ?

-Une sorte de police, répondit-elle évasive. C’est comme ça qu’est appelée la police rosalienne. En quelque sorte.

-Je ne serai pas votre chef.

-Ah-ha ! clama-t-elle. Tu n’as pas réfuté ! J’en conclus donc que tu as un véritable grade en réalité ! Avoue-le, Alexius.

-C’est de l’histoire ancienne.

-Ton grade, Alexius Solidor.

-… Général, admit-il dans un soupir et en détournant le regard. J’étais général. »

Jasper demanda s’il plaisantait. Delilah s’exclama avec stupéfaction qu’il était beaucoup plus haut gradé qu’elle. Le président se retint de sourire mais pas Kathleen. Elle arborait un fichu sourire victorieux. Général Alexius Solidor. C’était vraiment de l’histoire ancienne. Il venait d’accéder à ce grade à un jeune âge lorsque sa terre natale s’embrasa. La seule bataille qu’il avait pu mener en tant que général avait été une cuisante défaite. Ses hommes avaient péri, il avait survécu. Même si le temps avait passé depuis, il continuait de se sentir responsable de leur mort. Chaque année, il ne manquait jamais de les honorer, en même temps que les membres de sa famille. Mais cette année, il avait été en retard pour cela en raison de leur mission précédente, qui avait duré plus de temps que prévu. Dès le lendemain de leur retour à Valendrie, Alexius avait passé plusieurs jours cloîtré dans sa chambre afin de célébrer leur mémoire. Alors que ce rituel était sacré dans sa culture, il avait fallu qu’il soit interrompu par Percy et sa pseudo-inquiétude pour lui.

Lorsqu’il sortit finalement de ses sombres pensées, Theodore Phoenix se tenait devant lui et pointait sa baguette télescopique vers lui en décrétant que ce serait lui le chef du groupe, l’appelant Général Alexius Solidor. Pour le jeune homme, ce nom sonnait l’écho d’une époque révolue mais derrière le président, il vit Kathleen lui sourire avec assurance. Elle avait confiance en lui. Finalement, Percy avait peut-être raison à son sujet. Elle était bien naïve.